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Les leçons de la pandémie – Nov. 2020
Territoires scolaires modulables
Questions transversales
Comment faire quand on a une cour de récréation qui est partagée avec des élèves de secondaire et de primaire – 1300 élèves dans la même cour ?
Ce qui trouve des difficultés à se régler dans « l’espace », doit se gérer dans le « temps ». Le partage d’une cour de récréation entre deux populations d’élèves d’âges et aux préoccupations fort différents rend difficiles la régulation, la stimulation et l’apaisement de la cour ainsi que son caractère modulable en temps de pandémie. Pour ma part, je préconiserais de prévoir des horaires différents pour les élèves du primaire et du secondaire… en temps normal, pour plus de confort des élèves qui utilisent cette cour et pour les enseignants qui doivent contrôler un tel territoire, et en temps de pandémie, pour éviter la densité incontrôlable de groupes d’élèves hétérogènes qui ne peuvent manquer de surpeupler l’espace récréatif. Une fois le double temps de récréation (un pour les primaires, un pour les secondaires) instauré, le système de « bulles » que je continue à recommander devient tout à fait applicable.
Les établissements scolaires manquent souvent de moyens financiers. Comment adapter les infrastructures (cour de récré, par exemple) à moindres couts (installer des bancs pour s’asseoir sous la pluie, ce n’est pas l’idéal…) ?
J’ai vu de superbes cours de récréation réalisées avec des moyens dérisoires. Je pense à une école de Mariembourg qui n’a utilisé que du matériel de récupération, ou une autre dans le Nord de la France qui a travaillé en collaboration avec un « atelier palettes » qui avait pris l‘initiative de recycler des palettes de bois et a construit des « bancs de réflexion » et des tables modulables de cette façon. Nonobstant ce type de « bricolage », je sais aussi qu’une entreprise comme Idemasport qui s’est spécialisée dans l’aménagement des cours de récréation réalise des projections budgétaires en fonction des moyens financiers de chaque école, même si ceux-ci sont très limités. J’ai vu des centaines de cours réaménagées et les plus belles réalisations me paraissent généralement celles qui font appel à l’imagination des enseignants (et parfois des élèves eux-mêmes) pour autant que la méthodologie guidant la régulation du territoire ait été suivie préalablement à sa stimulation.
Concrètement, comment réguler les réfectoires ?
De la même façon que sur les cours de récréation, puisqu’il m’y apparait tout aussi nécessaire de continuer à maintenir les bulles d’apprentissage (les classes) identifiables en fonction de leur vareuse ou d’un macaron de couleur. Il faut ensuite, selon moi, travailler par « tablées » en réservant chacune d’elles à une bulle d’apprentissage. C’est exactement comme cela que l’on opère à Poudlard, où une tablée est prévue pour les Gryffondor et une autre pour chaque groupe d’apprentissage fixé dans les différentes maisons qui composent l’école des sorciers de Harry Potter. Pour le réfectoire, ce n’est donc pas « sorcier » : il faut aménager le local en tablées et associer à chacune d’elles un code couleur qui correspond à la « bulle d’apprentissage » autorisée à y prendre place. Si le réfectoire est surpeuplé, là aussi, je préconise de gérer par le « temps » ce qui ne trouve pas de solution dans l’espace, en proposant des temps de repas différents toujours en tenant compte que la densité, et notamment la densité hétéroclite – celle qui provoque la proximité au-delà des bulles fréquentées par chaque élève –, doit toujours être tenu en ligne de mire.
Quid de la gestion concrète des mesures aux toilettes ?
La régulation des toilettes avait déjà été envisagée de manière détaillée in tempore non suspecto dans l’ouvrage « Aménager la cour de récréation » publié chez Van In. Il y est rappelé l’importance de réguler les espaces sanitaires pour y éviter toute forme de surpopulation et, dans ce territoire où la vacance de pouvoir adulte rend la surveillance particulièrement difficile, assurer un flux des élèves suffisamment régulier pour qu’aucun élève ne s’y trouve alors qu’il n’a pas à y être. Il suffit pour cela de mettre à la disposition des élèves une plaquette qui autorise de se trouver sur le territoire des toilettes et de ne prévoir qu’un nombre de plaquettes équivalent au nombre de toilettes disponibles – exactement comme cela se fait dans les cabines d’essayage de certaines grandes chaines de magasins de vêtements. La manière concrète de procéder est détaillée aux pages 57 et 58 du livre « Aménager la cour de récréation ».
Secondaire
Quelles pistes concrètes proposer pour réguler les cours de récréation en particulier au secondaire ? Il y a parfois beaucoup d’élèves sur une cour… et pas assez de surveillants pour faire respecter les règles. Comment les faire respecter sans être hyper sanctionnant ?
Avoir la densité des populations en ligne de mire constitue un impératif si l’on veut se donner les moyens de contrôler un phénomène de contagion. Je plaide pour ma part pour des bulles d’apprentissage identifiables par des codes couleur et qui, sur la cour, permettent d’éviter un mélange incontrôlable. Cette manière de procéder est même plus facile en secondaire dans la mesure où les jeux de course ont tendance à s’y raréfier et où la conversation entre pairs constitue l’occupation principale. Par ailleurs, le zonage de la cour et sa régulation en fonction des activités permet de maintenir le football sur une zone accessible à des bulles différentes mais en interdisant le dribble. Ce « foot à passes » qui n’autorise que les passes et les tirs au but permet d’éviter les contacts physiques de proximité et permet d’éviter sur la partie du territoire consacrée au football les problèmes de densité. Ces manières de procéder, en limitant les gestes protecteurs à la constitution de bulles en ce compris sur l’espace de récréation et en aménageant les activités pour qu’elles ne créent pas de proximité excessive entre les élèves de bulles différentes, sont de nature à moins utiliser la punition pour installer les règles dans la mesure où le confort des élèves est mieux pris en compte et que les limitations portant sur la distance physique ne sont pas aggravées par le sentiment d’introduire une distance physique entre élèves d’une même classe ou demi-classe (et donc d’une même bulle d’apprentissage) ou la sensation de voir des activités habituelles devenues interdites (le foot) pour autant que la façon de s’y livrer soit soumise à des règles adaptées. Ils ont procédé de cette façon au Québec et cela a donné d’excellents résultats.
Flexibilité dans les classes et manières de donner cours
Questions transversales
D’après votre expérience, quel est le « nombre idéal » pour un groupe-classe et quel nombre d’enfants pour un travail en bulle de pédagogie inversée ?
Le nombre « douze » est le chiffre magique depuis que K. Lewin l’a adoubé dans son livre « La dynamique des groupes restreints ». C’est effectivement cette taille de groupe qui permet le mieux de se sentir à la fois pris en compte individuellement et soutenu par l’activité du groupe. C’est aussi, comme j’ai pu le constater, le nombre de participants qui assure le fonctionnement le plus efficace des espaces de parole régulés quand il est question de partager son vécu émotionnel. C’est aussi la taille de groupe idéale pour favoriser le questionnement en permettant à chacun d’oser prendre la parole.
Notre direction souhaite qu’on mange en classe, avec nos élèves. Qu’en pensez-vous ?
Il semble que la prise de repas en commun soit un moment propice à la circulation du virus. C’est pour cela que l’on doit se montrer particulièrement attentif à éviter pour ce moment-là toute forme de densité et de proximité… Prévoir une distance suffisante de l’enseignant par rapport aux élèves, éviter que le local soit surpeuplé et surtout l’aérer sans réserve me semblent des précautions indispensables pour que cette décision de contraindre un enseignant à prendre son repas au milieu de ses élèves – qui présente l’avantage de préserver les bulles d’apprentissage mais l’inconvénient de contraindre l’enseignant à se défaire d’un geste protecteur – ne soit pas préjudiciable. Dans tous les cas, il me semble indispensable de prévoir un temps de sortie de tous les élèves avant et après le repas pour aérer complètement les locaux.
Peut-on faire des ilots si on doit maintenir une distanciation sociale et des places fixes pour les élèves pour favoriser le tracing ?
Bien entendu. Il suffit pour cela d’aménager vos tables en « ilots » homogènes et fixes composés de groupes d’élèves amenés à travailler systématiquement ensemble et à former des « équipes » de travail. Travailler en ilots n’impose pas de permettre le mouvement permanent des élèves et la – si mal nommée – distanciation sociale n’est jamais qu’une distance physique qui ne freine en rien le contact… social. Les travaux de proxémie montrent que la distance d’un mètre est même celle qui permet le mieux d’échanger et de communiquer entre les personnes sans éprouver le sentiment d’être envahi par ceux qui se comportent comme s’ils étaient nos proches ou nos intimes.
Est-ce que créer des groupes ne risque pas d’ostraciser certains élèves ? Ou les séparer de leurs amis ? Comment déterminer la composition de ces groupes ?
Il y a plusieurs façons de composer les groupes. La première, qui permet d’éviter le risque d’ostracisme dont vous parlez, consiste à se fier au hasard en procédant à un tirage au sort pour répartir les groupes de façon aléatoire. La deuxième consiste à créer des groupes de travail homogènes en se fiant à la méthodologie utilisée pour mettre en place des formes d’enseignement mutuel ou coopératif. Il faut pour cela avoir mis en place un fonctionnement pédagogique qui permet aux élèves qui maitrisent une compétence de se poser ostensiblement (par un « macaron » ou une « ceinture de compétence » comme le préconiserait F. Oury) comme une ressource disponible pour expliquer une matière ou transmettre une connaissance au sein d’un groupe. En répartissant les élèves-ressources équitablement dans les groupes, on évite que des groupes constitués exclusivement d’élèves en difficulté ne se mettent en situation virtuelle de « décrochage collectif » et on favorise, au contraire, la mise en place de groupes de travail hétérogènes qui sont ceux qui permettent d’obtenir les meilleurs résultats. La troisième façon de procéder consiste à laisser les élèves se regrouper par affinités. Cette façon de faire, outre le fait qu’elle intensifie le risque que vous soulevez d’ostracisme, présente le désavantage de mettre en scène des groupes à forte composante affective qui, parce que les affinités vont évoluer, apparaissent dans la durée plus difficiles à vivre et, paradoxalement, davantage propices à mettre en jeu des phénomènes de harcèlement ou d’agressivité entre pairs.
Comment concilier « écoles ouvertes » et rôle / utilité de l’enseignant face aux parents ? Comment ne pas galvauder la valeur de leur fonction, et éviter de faire passer le message « de toute façon, tout le monde peut le faire » ?
Il est très important sur ce point de bien expliquer qu’une « classe-balade » ne se constitue pas comme une « balade en famille » pour la bonne et simple raison qu’une classe, c’est-à-dire non pas la pièce où l’on enseigne mais le groupe d’élèves qui entoure l’enseignant en vue d’apprendre, fait de toute expérience une opportunité d’apprentissage. La méthodologie des « classes-balades » comme j’ai l’occasion de la développer dans le livre « Les leçons de la pandémie » (p. 59-65) indique précisément ce qu’il convient de mettre en place pour réaliser une activité pédagogique bien différente de celle que « tout le monde peut faire » parce qu’il s’agit précisément d’un acte d’enseignement et qu’il est question d’un professionnel qui met ses élèves en situation d’apprendre et pas d’un parent qui cherche à passer un moment de détente en famille.
En tant que professeur de langues, comment travailler l’oral dans ces conditions si particulières ?
L’oral est particulièrement adapté à l‘hybridation intelligente des apprentissages et à un présentiel qui fait la part belle aux interactions entre élèves (bancs en ilots) et à l’échange interactif avec l’enseignant (aménagement en « U »). Pour cela, il faut évidemment selon moi n’utiliser le numérique qu’à des fins d’entendre la langue telle qu’elle est pratiquée oralement par quelqu’un qui la maitrise (l’enseignant ou un élève performant) à raison de capsules de quelques minutes. L’échange à propos du contenu des capsules se réalise ensuite en classe en situation de présence physique. Les méthodes qui font l’impasse sur ces séances ou se réalisent exclusivement en distanciel (comme le suggèrent depuis des lustres des méthodes type « Assimil ») ne sont profitables et accessibles qu’à ceux qui sont particulièrement motivés et intéressés, pour des raisons personnelles ou professionnelles, par l’objectif de maitrise. Pour les autres, le rapport présentiel-distanciel doit donner toute la qualité au présentiel pour ne laisser au support numérique qu’un rôle de diffusion de contenus ou d’illustrations de façons de s’exprimer. Les professeurs de langues savent, à cet endroit, que la mise en situation constitue la meilleure façon de s’approprier une langue nouvelle. À ce titre, les bancs en ilots et la configuration en U de groupes restreints constituent incontestablement ce qui se fait de mieux.
Dans une classe spécialisée avec des enfants T2 ou T3 (autistes ou caractériels), les gestes barrières sont difficiles à garder, alors que l’on sait qu’ils ont des besoins spécifiques. La flexibilité est difficile à gérer… Comment faire ?
Je crois qu’il vaut mieux, avec ces élèves – comme avec les autres d’ailleurs –, parler de « gestes protecteurs ». Ces enfants différents comprennent par ailleurs souvent mieux que les autres ce que signifie une « bulle proxémique » dans la mesure où ils vivent intensément toutes les formes d’intrusion. C’est d’ailleurs dans l’enseignement spécialisé, et notamment dans les écoles inclusives, que nous avons mis en place les premières « bulles proxémiques » (voir « Les leçons de la pandémie », p. 85) dans lesquelles pouvaient trouver place les élèves qui souhaitaient, autour d’eux, une distance suffisante (notamment parce que dans les écoles inclusives, ces élèves différents avaient tendance à se sentir envahis par les petites filles qui mettaient trop d’énergie à les « materner ». La régulation des territoires et leur stimulation adaptée ont à cet égard montré autant – si pas davantage – d’efficacité dans cette forme d’enseignement dans la mesure où cela semble répondre à des attentes des élèves en termes de structuration de l’espace. De la même façon, le lavage méthodique des mains peut être réalisé avec beaucoup plus d’efficacité dans cette forme d’enseignement pour autant que cet apprentissage soit inclus dans des formes rituelles qui rassurent les élèves. La ritualisation de comportements protecteurs apparait à cet endroit plus profitable que la prescription autoritaire de gestes barrières.
Comment mettre en place des aménagements dans les cours de pratique professionnelle : les cours de cuisine dans l’enseignement spécialisé ? La circulaire interdit le service des repas.
La circulaire interdit la circulation et le partage des repas. Elle n’interdit pas la confection et la consommation de ces repas… Là encore, il n’est question que de freiner les situations de densité et de proximité. Rien n’empêche, par exemple, de réaliser – individuellement ou en petits groupes – le plat et d’inviter ensuite chacun à le consommer en groupes restreints qui prennent la forme de bulles et même individuellement pour autant que l’on prenne la peine de filmer… de façon à ce que ceux qui ont confectionné le repas puissent prendre connaissance de l’effet produit sur ceux qui le consomment et d’échanger à ce propos. Ici aussi, il est question d’aménager les façons de faire pour éviter la constitution d’un grand groupe ou une proximité excessive entre élèves qui ne composent pas ensemble une même bulle.
Secondaire
Dans le secondaire, il est très compliqué d’avoir des classes flexibles, car changements de locaux fréquents, pas de classe fixe… Comment faire ?
Voilà typiquement le résultat d’une vieille habitude éducative héritée du 16e siècle et qui gagnerait absolument à être dépoussiérée. L’habitude d’attribuer un local à une classe et non à un enseignant ou à une discipline est perçue dans de nombreux pays comme une pratique saugrenue qui ne présente, sur le plan pédagogique, que des désavantages. Le style d’enseignement d’un professeur de mathématiques qui privilégie davantage l’explication et la démonstration n’est pas le même que celui d’un professeur de langues qui invite à l’échange et/ou d’éducation à la citoyenneté qui incite à la mise en débats. Il est évidemment plus efficace – et pas plus difficile à organiser pour autant que les déplacements dans les couloirs soient correctement régulés (cfr. « Aménager la cour de récréation », Van In, p. 57) – de prévoir le déplacement des classes d’élèves en attribuant à chaque enseignant ou à chaque discipline (le local de langues, l’espace mathématique, la classe de citoyenneté) une classe qu’il peut aménager en fonction de son style pédagogique. C’est en cela que cette pandémie peut conduire, sans provoquer pour autant de révolution, à produire des innovations salutaires qui, pour le coup, ne constitueront même que des alignements sur ce qui se fait ailleurs avec succès. En outre, la démonstration a été faite que le fait d’attribuer des locaux aux enseignants plutôt qu’aux classes d’élèves diminuait les conduites territoriales de ces derniers et donc la difficulté éprouvée par l’enseignant à trouver et à prendre sa place dans un groupe d’élèves qui se sent pleinement sur son territoire, obligeant l’enseignant qui est amené à y prendre position à réaffirmer son autorité avec suffisamment de puissance pour opposer son assertivité à l’éventuelle agressivité de la classe…
Travail en ilot en langues : comment faire avec de grands groupes, au secondaire ?
Théoriquement, les bulles c’est bien beau mais dans une école de plus de 1000 élèves (en secondaire) et l’école primaire adjacente, les éducateurs et les professeurs n’ont pas la possibilité de gérer.
Cela me parait d’autant plus important, puisqu’il est question d’un groupe imposant, de se donner les moyens de freiner les situations de proximité entre élèves qui ne se fréquentent pas habituellement et de ne pas provoquer des phénomènes de densité excessive en laissant se réaliser des regroupements surpeuplés. Une fois de plus, je pense que ce système de « bulles » est plus facile à mettre en place dans les écoles que partout ailleurs dans la mesure où les classes forment naturellement des bulles d’apprentissage auxquelles un nom ou un code a d’ailleurs été associé (P1, R1, etc.). Il « suffit » d’associer un code couleur et de proposer pour chaque élève de s’identifier manifestement en fonction de celui-ci de façon à assurer le respect sur les espaces récréatifs de ces bulles d’apprentissage.
Dans le même ordre d’idées, le travail en ilot en associant chaque tablée à un code couleur qui indique quels élèves pourront se rassembler autour de la table permet de diviser un grand groupe et de procéder, par exemple dans un cours de langues surpeuplé, à la mise en place de sous-groupes qui constituent chacun une bulle d’apprentissage.
Comment sensibiliser au concept de « bulle » les adolescents qui profitent des moments de récréation pour aller voir leurs copains des autres classes ? Et ceux qui sortent sur le temps de midi pour aller manger ensemble ou prennent le bus sans aucun respect des bulles-classe ?
Lorsque la bulle n’est pas respectée, ce sont les gestes protecteurs qui doivent prendre le pas pour freiner la contagion. La bulle permet de s’opposer à la densité, les gestes barrières à la proximité. Un élève peut quitter sa bulle pour autant qu’avec l’élève d’une autre bulle il respecte les gestes protecteurs relatifs par exemple à la distance physique et au port du masque. C’est à cela qu’il faut le sensibiliser, et c’est ce que feront d’ailleurs les chauffeurs de bus, encouragés pour cela par une réglementation qui, dans les transports en commun notamment, s’est considérablement renforcée. La bulle-classe intra-muros et les gestes protecteurs hors des murs de l’école sur les territoires qu’évidemment elle ne contrôle pas : le couplage de cette double façon de procéder devrait permettre de mieux contrôler le phénomène de contagion en n’annulant pas d’un côté (à l’école ou l’on met en place les bulles-classes en réglementant moins les gestes protecteurs) ce qui se fait de l’autre (dans l’espace public sur lequel la bulle-classe n’est pas respectée mais au sein duquel la réglementation a été renforcée) et réciproquement…
Comment adapter la flexibilité des classes à l’obligation de respecter la distanciation « sociale » ?
En faisant le plus possible du local classe une bulle d’apprentissage peu perméable, en évitant au mieux les situations de densité et en limitant autant qu’on le peut les interactions qui provoquent une proximité excessive. Pour le reste, les aménagements en ilots ou en U permettent tout autant – si pas mieux – de respecter la distance physique entre élèves et celle qui sépare l’enseignant des élèves. Il faut aussi bien entendu que les locaux soient régulièrement aérés et correctement ventilés.
Dans l’école où je donne cours, les élèves sont tellement nombreux par classe qu’on ne peut même pas passer entre les bancs. On essaye juste d’entasser un maximum de bancs pour faire rentrer 30 élèves dans 40m². Comment pratiquer la classe flexible dans ces conditions ?
30 élèves dans 40 mètres carrés, c’est l’exemple même d ‘une densité incontrôlée. C’est exactement cette situation qui a poussé Freinet, indépendamment de toute pandémie mais parce qu’il jugeait que cette situation, en raison de l’exiguïté des locaux, ne lui permettait pas d’enseigner, à mettre en place à Bar-sur-Loup ses classes-balades… C’est comme cela qu’il lui a été possible de repousser les murs de sa classe. Par ailleurs, si l’expérience de Freinet ne vous tente pas et que vous préférez rester en classe, je vous suggère d’essayer les bancs en ilots. Ils ne prennent pas, vous le constaterez, davantage de place que les bancs-autobus qui constituent la façon la moins ergonomique d’organiser une salle de classe. Lorsqu’il est question d’expliquer frontalement, des chaises suffisent et le regroupement des élèves autour de tables prend moins de place que l’idée d’asseoir chacun d’eux derrière un banc. Quand il est question de questionnement, il est à nouveau question de chaises sans bancs mais configurées en « U »… Je n’ai pas vu votre classe, mais je suis convaincu que l’idée de mettre des tables autour desquelles les élèves se regroupent pour interagir entre eux et des chaises qui leur permettent de vous écouter et/ou de vous questionner prennent moins de place sans vous obliger à tenter de slalomer entre des bancs individuels ou en duo qui, dans la configuration proposée par la classe flexible… n’existent plus.
Pratiquement, comment constituer une bulle « classe » alors que nos élèves se mêlent à d’autres classes pour les cours de langues, d’éducation physique, d’options… ?
En maintenant ces bulles-classes dans les cours qui favorisent le mélange. C’est tout à fait possible à travers les codes couleurs et l’aménagement des classes en ilots. Les élèves de la bulle-classe jaune continuent à être ensemble dans la classe de langues et cohabitent avec les élèves de la bulle-classe bleue pendant la durée du cours mais en maintenant entre les groupes une distance physique suffisante pour que cela constitue un geste protecteur collectif. Concrètement, les élèves de la bulle-classe jaune prennent place autour d’une table et ceux de la bulle-classe bleue autour d’une autre…
L’idée des classes avec les bancs en ilot ou en U est très attrayante, mais comment faire pour la mettre en place quand on est prof en secondaire et qu’on a un cours en 2h et que les autres profs ne mettent pas cela en place ?
J’ai partiellement répondu plus haut à cette question en suggérant de faire en sorte que ce soient les élèves qui se déplacent davantage que les enseignants qui se verraient, eux, attribuer un local en fonction de la discipline qu’ils enseignent. Si ce n’est pas possible, je suggère de tenter entre collègues une forme de « coopération » qui, s’appuyant sur la nécessité sanitaire, stimule de nouvelles façons de configurer les classes susceptibles d’être avantageuses pour toutes les façons de donner cours en présentiel, notamment dans le contexte d’hybridation de l‘enseignement tel qu’il est imposé qui suggère notamment un présentiel différent qui fait la part belle à l’interaction et au questionnement.
Dans le code rouge, la circulaire ne parle pas de garder des bulles dans la cour de récréation. Ou je me trompe ?
Effectivement, mais le code rouge impose d’intensifier la pression autour des gestes protecteurs et recommande de tout mettre en œuvre pour en favoriser l’application. Les « bulles » constituent une façon de réduire cette pression et se posent même, selon moi, comme la seule manière de se donner les moyens de les faire respecter.
Primaire
Que pensez-vous des ilots et du sens d’écriture/lecture en première primaire ? Peux-t-on aussi travailler en ilots ? Ou y a-t-il des choses importantes auxquelles on doit faire attention par rapport aux petits qui apprennent à lire et à écrire ?
Évidemment, c’est même pour les enfants très jeunes confrontés à ces apprentissages que les ilots fonctionnent le mieux. L’écriture qui invite les enfants à « manipuler » les lettres et à les reproduire se constituent lorsque les petits élèves sont regroupés autour d’une table un acte individuel renforcé par la situation d’apprentissage collective, qui invite alors les élèves à s’observer mutuellement lorsqu’ils agissent et à mieux oser « tâtonner » en regardant faire les autres. C’est le principe de « l’écolaborative », une forme d’enseignement qui porte une attention toute particulière aux manières de mettre les élèves en situation d’apprendre individuellement au sein du collectif en s’appuyant sur lui pour oser apprendre. C’est par ailleurs les deux éléments principaux auxquels il faut se montrer attentif lorsqu’il est question d’apprendre à écrire à un enfant : ose-t-il se lancer dans l’apprentissage et va-t-il au bout de ce qui lui est demandé ? La stimulation des fonctions exécutives (celles qui l’incitent à se fixer un objectif et se donner les moyens de l’atteindre) et l’audace pour apprendre sont incontestablement favorisées par une configuration en ilot qui invite les élèves à se regrouper autour d’une table pour apprendre. Par ailleurs, pour ce qui concerne la lecture, je ne saurais que vous inviter à raconter le plus possible des histoires aux enfants. C’est l’appétence pour les histoires racontées qui donne le gout de lire et permet aux enfants de mobiliser leurs aptitudes pour y parvenir. Le psychologue James Hillman soutient par ailleurs que les enfants qui ont lu des histoires ou à qui on en a lu dans l’enfance sont en meilleure condition et ont de meilleures perspectives que ceux auxquels il faut les faire connaitre… Or, pour lire des histoires, la configuration en U – qui place le lecteur parmi ceux qui l’entourent en l’écoutant sans qu’il ne tourne le dos à aucun – constitue incontestablement la meilleure.
Concrètement, comment faire pour diviser des classes de 24 élèves en 2 à l’école primaire, alors que nous ne disposons pas de locaux ni d’enseignants en suffisance ?
En diminuant le temps de présence des élèves tout en améliorant la qualité de cette présence. Les contraintes matérielles liées à l’insuffisance des locaux et à la pénurie de main d’œuvre ne doivent pas constituer des freins à l’audace pédagogique qui suppose de privilégier des petites classes dans lesquelles on prend le temps de se préoccuper de chaque élève et de son rythme d’apprentissage et au sein desquelles on amène les enfants à échanger mutuellement et à oser questionner. Cela peut se faire en libérant les enseignants et les locaux, en augmentant le temps des récréations ou en activant des classes-balades qui permettent de prendre en charge la partie des élèves qui ne se trouvent pas en classe dans une forme présence physique.
Concernant le bien-être des enfants : certains n’ont pas forcément la tendresse, l’amour dont ils ont besoin chez eux. Ils nous demandent des câlins, ont besoin de nous… Comment leur refuser des câlins ? Comment expliquer aux plus petits qu’on ne peut pas leur en faire ?
L’apprentissage de ce que l’on appelle « l’amour paradoxal » – qui implique que plus on aime quelqu’un plus on doit, pour exprimer cet amour, se tenir à distance de lui – permet précisément de comprendre que l’être humain tient à sa disposition plein de gestes qui lui permettent d’assurer son affection de manière complète sans faire preuve d’une proximité excessive. C’est précisément à cela que servent les toises de salutation dont le fonctionnement est décrit dans le livre « Les leçons de la pandémie » (p. 83)… C’est important que l’enfant l’apprenne à l’école parce que ces gestes protecteurs, ce sont précisément ceux qu’il devra mettre en place en montrant par exemple à ses grands-parents qu’il demeure attaché à eux même s’il doit, pour le moment, l’exprimer par un répertoire de gestes nouveaux.
Mon école ordinaire fondamentale travaille en groupes de besoins et mise sur l’apprentissage par contagion pour lutter contre le redoublement et prendre en compte les besoins spécifiques. Comment combiner respect des « bulles » et choix pédagogiques ?
L’apprentissage par contagion est particulièrement compatible avec le respect des « bulles », comme par ailleurs tous les dispositifs qui formalisent le tutorat entre pairs et le recours aux zones proximales de développement qui permettent aux élèves de concevoir ce qu’ils sont en mesure de réaliser avec l’appui d’un autre en le distinguant progressivement de ce qu’ils sont en mesure de réaliser seuls. Cette façon de faire, inspirée des formes de transmission mutuelle des connaissances, constitue une option pédagogique particulièrement intéressante à laquelle il ne faut évidemment pas renoncer mais qu’il convient au contraire de promouvoir parce qu’elle fait de chaque « bulle d’apprentissage » un moteur d’enseignement particulièrement utile dès lors qu’il est question par cette forme pédagogique de s’opposer au redoublement et à la distance dans les apprentissages entre élèves…
Enseignement hybride
Questions transversales
Comment donner confiance en ces nouvelles pratiques à ses collègues réfractaires ?
La question est sans doute moins celle du « comment » que celle du « pourquoi ». On peut en effet comprendre les réserves de ceux qui peinent à se lancer dans le numérique et il vaut mieux admettre leur réticence pour leur permettre de ne devoir apprivoiser ces techniques nouvelles qu’en toute petite quantité… C’est le principe de toute évolution en pédagogie, elle ne doit brutaliser personne mais avancer en tenant compte de la « zone de confort » que chacun trouve dans ses manières propres d’enseigner. Métaboliser le nouveau dans l’ancien, dans le « déjà maitrisé », plutôt que de convertir brusquement à des pratiques nouvelles dans leur forme et qui donnent l’impression de tout bouleverser alors qu’il n’est souvent question que d’une modification de support et d’un séquençage différent des pratiques qui ne produit pas un changement radical dans les manières usuelles de faire. Ne pas imposer un mouvement brusque vers les pédagogies actives ou libertaires mais laisser une place aux formes assises d’enseignement en les mâtinant progressivement de façons nouvelles de faire, c’est comme cela, je pense, que l’on permettra mieux de donner confiance plutôt qu’en exigeant une conversion radicale qui sonne le glas de leurs façons de faire antérieures.
L’enseignement hybride, on prend ça comme acquis, tout d’un coup. Mais il y a une majorité de profs, ici, et on se rend tous bien compte de la galère que c’est ! La plupart des élèves sont peu ou pas équipés et très mal formés (sans même parler des profs…) – que faire ? Comment faire de l’hybridation (capsules ou autres) avec des enfants qui n’ont pas accès à un ordi ou à internet ?
La création d’espaces scolaires numériques est, comme je l’ai expliqué dans la conférence, la responsabilité des autorités politiques locales. Elle ne doit reposer ni sur les épaules des enseignants ni sur celles des directeurs d’école. Par ailleurs, l’hybridation ne doit absolument ni être réduite ni contraindre à une numérisation brutale des pratiques. Dans sa communication qui « arrondit » ce qui est prescrit dans les circulaires, la Ministre s’est d’ailleurs montrée sensible aux messages qui tendent à rendre au livre la place qu’il mérite dans l’enseignement à distance. Le livre est le média par excellence de la distance. Que les enseignants ne se brutalisent pas avec le numérique et qu’ils ne brutalisent pas leurs élèves en s’imposant ou en leur imposant un média qu’ils ne maitrisent pas suffisamment. Par contre, faire de la pédagogie en compensant par un présentiel qualitativement différent une quantité de présence physique en classe diminuée, c’est le véritable enjeu de cette transition…. Et pour cela, la transmission de techniques de pédagogie inversée, de remédiation ciblée, de questionnement interactif et d’apprentissage mutuel me semble plus utiles que la mise en formation dans l’urgence d’enseignants qui se penseraient contraints de donner aux écrans toute la place alors qu’il n’est jamais question que de leur faire, éventuellement, un peu de place en les considérant comme un support qui, au même titre que le livre, permet une diffusion des connaissances qui seront questionnées plus tard et une transmission des savoirs théoriques qui gagneront à faire l’objet d’échanges en présentiel.
Comment éviter que la classe inversée ne favorise les inégalités chez les élèves (milieu social, accès aux outils informatifs / à une connexion internet, compréhension…) ?
Outre la fracture numérique dont il a été question dans la réponse précédente, la pédagogie inversée a été initialement pensée et concrétisée (notamment par la Khan Academy) pour venir en aide aux élèves en difficulté (cfr. « L’éducation réinventée », Salman Khan) parce qu’elle favorise la remédiation ciblée, offre aux élèves en difficulté davantage de lieux propices au questionnement en présentiel qui, parce que les groupes sont plus réduits, permet non seulement d’oser poser les questions mais aussi de se voir réexpliquer les matières non comprises soit par les pairs, sous forme d’échanges interactifs ou de tutorat, soit par l’enseignant, qui peut renvoyer l’élève à une capsule antérieure si cela s’avère nécessaire. J’explique concrètement cette manière de procéder et l’influence positive qu’elle peut avoir sur les élèves en difficulté aux pages 115 et 116 du livre « Les leçons de la pandémie » en proposant une illustration de mise en situation de la pédagogie inversée.
Comment motiver les élèves à préparer les leçons dans le cadre de la classe inversée ? Quelles seraient les techniques pour leur faire comprendre qu’ils doivent absolument préparer les contenus avant de venir en classe ? Où trouver des activités pour que les élèves interagissent après avoir découvert les contenus à la maison ?
La mobilisation des élèves se réalise par l’inversion de la séquence de devoirs (c’est d’ailleurs pour cela que l’on parle de pédagogie inversée). Il ne sera plus question dans cette forme pédagogique de devoirs pour vérifier si on a assimilé la matière diffusée au cours, mais de devoirs préalables au cours de façon à ce que chacun soit mis par la préparation en situation d’échanger avec les autres. Avec ce type de pédagogie, le devoir, c’est la prise de connaissance de la matière dont il sera question lors de la séquence en présentiel. La lecture d’un chapitre de livre sur lequel portera la séquence de cours ou le visionnage d’une capsule vidéo d’une dizaine de minutes, voilà des exemples de « devoirs » préalables à la venue en classe qui ne doivent pas être trop longs mais doivent nécessairement être présentés comme des « devoirs » qui remplacent ceux qui, habituellement, sont donnés à la fin du cours. Les contenus doivent nécessairement être courts (plutôt un chapitre qu’un livre, plutôt une séquence d’apprentissage sous forme d’une capsule de dix minutes qu’un long exposé ou un cours d’une heure filmé) et, dans la mesure du possible, attrayants. L’utilisation de supports appréciés par les élèves (Assassin’s creed couplé à Mille ans d’Histoire, le dernier Lucky Luke, « Un cow-boy dans le coton », comme préalable à une mise en débat à propos du racisme, un film comme « Le cercle des poètes disparus », etc.) peuvent à ce titre, aussi bien qu’une capsule numérique, servir de support mobilisateur pour les élèves.
En tant qu’enseignante, j’ai surtout besoin d’outils pour continuer à motiver les élèves, même à distance…
Je renvoie à la réponse précédente. L’utilisation de supports mobilisateurs (B.D., séries télévisées, livres choisis par eux et non pas imposés, films, etc.) et le recours plus systématique à tout ce qui relève de l’éducation implicite accentue généralement le pouvoir d’attraction d’un cours en établissant des ponts entre le programme scolaire et ce qui est appris spontanément par les élèves dans les espaces d’apprentissage qu’ils ouvrent naturellement. Par ailleurs, on peut citer aussi le travail collectif qui les invite à s’investir ensemble dans un projet commun. Plutôt que de tenter de motiver les élèves à distance – ce qui supposerait de mettre en place des renforcements rendus moins efficaces par la distance –, j’ai tendance à proposer de chercher à les mobiliser en s’appuyant le plus possible sur leurs centres d’intérêt pour en faire des supports d’apprentissage qui rattachent les connaissances acquises aux matières prévues dans le programme scolaire. Dans le même ordre d’idées, les « lectures-relais » qui permettent à plusieurs de lire ensemble un ouvrage en lisant chacun individuellement puis en racontant à tous la partie dont ils sont responsables permet d’accroitre la mobilisation à travers la manière collective d’envisager la lecture.
Comment redonner le moral à certains enfants qui n’ont plus envie, qui sont en décrochage scolaire ?
En se préoccupant d’eux, non seulement par rapport à la manière dont ils se situent vis-à-vis de leur matière mais aussi dans la façon dont ils vivent les choses. Demander aux enfants comment ils se sentent. Les aider à identifier leurs émotions (peur, tristesse, colère ou dégout) et en faire un support de communication constitue, dans la période traversée, pour beaucoup d’enfants une opportunité de sortir de l’isolement et de percevoir qu’ils continuent à avoir de l’importance aux yeux de leur enseignant… Par ailleurs, pour éviter le sentiment de décrochage, il apparait également essentiel de faire en sorte que chaque élève puisse le mieux possible identifier où il en est dans ses apprentissages en faisant la part de ce qu’il connait, de ce qu’il ne connait que de manière très imparfaite et qui a besoin d’exercices pour s’installer et de ce qu’il ne comprend pas et qu’il faut se donner les moyens de lui réexpliquer. Un décrochage est toujours relatif alors que le vécu du décrochage donne le sentiment, tant que l’on ne s’est pas donné les moyens d’en préciser les composantes, d’un largage complet.
Conseillez-vous donc de filmer (en partie) les cours en présentiel que nous donnons pour que les élèves à domicile puissent avoir les explications comme les autres et poser leurs questions à leur retour à l’école ?
Oui, pour autant que la séquence ne soit pas trop longue et qu’elle soit découpée. Une séquence de cours dans laquelle les explications, les consignes ou les démonstrations sont données au groupe revient au tournage d’une capsule explicative. Les règles de ne pas dépasser dix à douze minutes sont alors d’application. La séquence de questions peut également être filmée. Elle peut, elle, durer plus longtemps et présente l’avantage de permettre à l’élève absent d’obtenir, par le biais des questions posées par ceux qui sont présents, des réponses à ses propres questions qui, très souvent, soulèvent des interrogations similaires. Cette séquence filmée présente en outre l’avantage de permettre à chacun de concevoir que pour s’approprier une connaissance, il ne suffit pas de l’assimiler passivement mais qu’il vaut mieux l’interroger activement.
Dans le cadre de la restauration de l’obligation scolaire, je me demande comment prendre les présences concrètement quand les élèves sont à la maison. C’est audacieux de considérer qu’un élève est absent parce qu’il ne s’est pas connecté, et c’est risquer de passer à côté des vrais absents (qui décrochent). Auriez-vous des pistes concrètes à proposer ?
Effectivement, d’autant que l’obligation scolaire doit être considérée avant tout comme l’obligation donnée à l’école de diffuser un enseignement et celle donnée aux familles et aux élèves de se mettre en situation de recevoir cet enseignement. Dans un tel contexte, il s’agit sans doute moins de « prendre les présences » que de s’assurer que les contenus ont effectivement été réceptionnés. Il est donc moins question de vérifier si l’élève a été connecté que de se donner les moyens de contrôler s’il a pris connaissance des contenus. C’est pour cela que je ne préconise pas de prendre les présences sur les supports virtuels mais de questionner les élèves lorsqu’ils sont en présentiel physique à propos du devoir de prise de connaissance des contenus qui leur a été imposé.
Comment réaliser pratiquement des capsules numériques ?
Se donner le plus possible l’opportunité de travailler en binôme avec un collègue qui filme les séquences (courtes, rappelons-le, s’il s’agit de capsules, et plus longues mais suffisamment séquencées s’il est question de parties de cours) – à charge pour vous de lui rendre la pareille. Plus que jamais, il est question de travailler ensemble en collaboration les uns avec les autres et de ne pas se résoudre à « bricoler » seul dans son coin des capsules qui obligeraient par exemple à jouer le double rôle d’être celui qui filme et celui qui est filmé. À cet endroit, il est important de se décharger le plus possible de l’aspect technique pour se focaliser sur son aptitude habituelle à faire de la pédagogie en préservant le mieux possible ses manières naturelles d’enseigner.
Certains parents ne comprennent pas cette façon d’enseigner (pédagogie inversée) hors contexte « Covid », comment les rassurer ?
Pour rassurer les parents, il faut faire preuve… de pédagogie. Leur expliquer les techniques pédagogiques qui se mettent en place, sans leur soumettre : ce ne sont pas eux les enseignants et ils n’ont pas pour vocation d’évaluer les pratiques enseignantes (cette posture du co-enseignement comme piège majeur de la co-éducation est expliquée dans l’ouvrage « Parents, enseignants… : éduquer ensemble » également publié aux éditions Van In).
J’ai, pour ma part, obtenu sur ce plan de très bons résultats en publiant des photos commentées de leurs enfants en situation d’apprentissage. C’est comme cela que les idées de classes-promenades, de bancs en ilots, de pédagogies inversées mises en pratique dans des classes aménagées en U, etc., illustrées et expliquées permettent, parce qu’il est question de montrer ce qui est fait et de donner du sens et une signification aux images, de rassurer pleinement les parents à propos de la qualité de l’éducation qui continue à être donnée à leurs enfants.
Quid de l’hybridation quand un élève est en quarantaine ?
Pour l’élève en quarantaine, c’est le même principe d’obligation scolaire entendu comme obligation de se donner les moyens de diffuser et de recevoir un enseignement qui doit être d’application. L’enseignant doit, en utilisant les supports qu’il souhaite (numériques ou sous format papier), mettre l’élève en position de prendre possession des contenus et de poser par rapport à eux les questions qu’il souhaite. L’élève et sa famille doivent se donner les moyens de prendre possession de ces contenus soit en venant les chercher à l’école, soit en utilisant les supports numériques qu’ils possèdent à la maison ou ceux qui sont mis à leur disposition par l’école – ou la commune, comme je le préconise – s’ils ne disposent pas d’une connexion avec l’école.
Secondaire
Comment organiser l’évaluation au secondaire avec un enseignement hybride ? Comment évaluer le savoir (sans réaliser 25 questionnaires différents) tout en s’assurant que l’élève ne lit pas son cours ?
Dans les périodes compliquées que nous traversons, il est essentiel de donner à l’évaluation toute sa place. C’est moins le savoir qui doit être évalué sous forme d’évaluation sommative qui établirait le bilan de ce qui est connu que la progression dans l’appropriation des connaissances qui doit, elle, faire l’objet d’une évaluation formative. Pour cela, il est sans doute préférable d’inciter les élèves à pratiquer des formes d’auto-évaluation qui lui permettent de repérer clairement ce qu’il connait (et sur lequel il ne sera plus nécessaire de revenir), de le discriminer clairement de ses connaissances flottantes par rapport auxquelles il fait encore des fautes dites « de distraction » et qui rassemblent le plus souvent des connaissances en voie d’acquisition (qui ont besoin pour s’installer d’exercices et d’entrainement) et de les distinguer de ce qu’il ne connait pas ou qu’il ne comprend pas (pour lesquelles les exercices seraient inutiles et qu’il faut se donner les moyens de réexpliquer). Quand il a compris ce « principe des trois armoires », l’élève qui s’autorise alors à faire des erreurs parce qu’il ne s’agit pas pour lui de réussir une épreuve ou de passer un examen mais de procéder à un état des lieux de son parcours d’appropriation des connaissances perçoit qu’il est inutile de « torpiller » l’évaluation en ne la réalisant pas honnêtement.
Je suis enseignante et favorable à changer la vision de l’évaluation. Mais du coup, comment changer cette vision de l’évaluation chez les élèves qui ne travaillent que pour des points et chez les parents ? Comment motiver les élèves à apprendre, à travailler sans le levier de l’évaluation certificative ?
Le problème qui est évoqué dans cette question tient à la fois dans la façon dont la note est parfois transmise et dans celle dont elle est parfois (souvent) lue par les élèves et plus généralement leurs parents. Le problème persistera tant que l’on continuera, d’un côté comme de l’autre, à parler d’épreuves (qui sont sémantiquement associés à une souffrance) ou d’examens (qui supposent une « autorité » qui émet un jugement, comme dans l’examen médical) alors qu’il n’est somme toute question que d’évaluations qui autorisent et prescrivent même le droit à l’erreur. Le principe d’une évaluation n’est pas de réaliser des parcours sans faute mais de commettre des erreurs auxquelles on s’attachera au-delà de l’évaluation à chercher ensemble un sens. Lorsque l’élève comprend la signification de ses erreurs, il a fait l’essentiel du chemin en direction de la maitrise de l’apprentissage. C’est pour cela qu’un 2/10 bien utilisé peut constituer un excellent tremplin d’apprentissage quand il est utilisé à bon escient mais pour cela, vous avez raison, il faut cesser de considérer les points comme une rétribution – en félicitant ceux qui en obtiennent beaucoup et en réprimandant ceux qui en ont récolté peu – mais envisager ces points comme une indication qui permet à chacun de continuer à progresser. Cette posture implique évidemment de changer complètement le statut de l’erreur en donnant aux élèves le droit de se tromper sans faire des fautes des failles ou des faiblesses, mais en les invitant à donner suffisamment de sens à leurs erreurs pour qu’ils apprennent à continuer à se tromper en apprenant à chaque fois à se « tromper mieux ».
Pour pouvoir travailler en différentiel (à des vitesses différentes qui respectent mieux le rythme de chaque élève), il faudrait changer les rythmes stricts de l’école. Concrètement, comment faire ? Et comment libérer du temps pour les élèves moins autonomes ?
La pédagogie différenciée, c’est l’art de mettre au rythme de chacun le mouvement collectif que l’on a réalisé en enseignant de manière simultanée à tout un groupe. C’est en réalité la substance même d’un acte pédagogique qui, si l’on ne veut pas revenir à un préceptorat évidemment nuisible à la volonté de démocratisation de l’enseignement scolaire, doit demeurer un acte orienté en direction de tous tout en maintenant le souci de chacun. Concrètement, cette manière de penser l’éducation de tous les élèves en préservant l’éducabilité de chacun d’eux ne peut se mettre en place que si l’on se donne les moyens de faire, avec chaque élève, des évaluations qui lui permettent de savoir précisément où il en est et de solliciter des remédiations ciblées portant précisément sur la partie des apprentissages qui demeure flottante ou complètement obscure. Cela implique évidemment de donner à l’autonomie de l’élève son sens profond en l’envisageant non pas comme une manière de se débrouiller seul mais comme une façon de faire appel aux autres (et notamment à l’enseignant) quand cela s’avère nécessaire et pour ce qui est véritablement utile.
Ne faudrait-il pas créer des cours qui suscitent une envie de suivre… Une envie de se connecter, comme Netflix ? Mais comment ?
Dès que l’enseignant appuie ses contenus sur des centres d’intérêt manifestés par les élèves, il déclenche ce processus qui dans la question est désigné par ce petit mot qui désigne l’envie. L’envie, ce n’est pas seulement l’aptitude à se mobiliser mais le mouvement par lequel on manifeste le désir de se mobiliser. Pour cela, il faut sans doute se donner les moyens d’explorer la planète des adolescents non pas comme des envahisseurs désireux d’y importer leur culture mais comme des ethnologues désireux de connaitre et de comprendre un univers différent du sien en respectant la forme dans laquelle les savoirs y prennent corps… Exactement comme Netflix mais avec, davantage que le programmateur de séries, le souci de rattacher les contenus appris aux connaissances qui fondent le programme scolaire.
Comment gérer deux groupes physiquement séparés ? Quelle technique concrète conseillez-vous lorsqu’on a une demi-classe en présentiel et une demi-classe en distanciel ?
Filmer la première partie et inviter l’autre à observer le cours depuis leur écran et ensuite intervertir les rôles de chacun de façon à ce que personne ne se sente exclu d’une partie de l’acte d’enseignement. Il faudra toutefois impérativement veiller à affirmer « la présence des absents » en fin de séance en les invitant à poser des questions via le support numérique au cours de séquences d’apprentissage qui font explicitement appel aux élèves mis en situation de suivre virtuellement le cours. Il faudra aussi ménager des moments formels au cours desquels leur avis est sollicité pour orienter le cours dans une direction, poser des questions différentes ou solliciter des explications plus approfondies comme on peut le faire dans les émissions qui utilisent le support virtuel pour stimuler l’activité des participants derrière l’écran.
Est-ce que vous pourriez expliciter ce que vous entendez par l’utilisation du livre dans l’enseignement hybride ? Qu’entendez-vous par « le livre », en fait ? S’agit-il du manuel scolaire, du roman… ?
Le livre désigne tous les supports qui utilisent le support papier et ont recours aux lettres ou aux images pour assurer la diffusion des contenus. Le manuel scolaire en fait évidemment partie mais il produit un matériel brut et des contenus dirigés qui sont très utiles pour transmettre de la matière mais ne contiennent pas, en eux-mêmes, un pouvoir d’attraction important. C’est pour cela que cette forme de lecture imposée doit se faire à petites doses, par séquences courtes d’apprentissage qui ouvrent au questionnement en présentiel et à propos desquelles les élèves seront amenés à échanger entre eux en classe au cours des exercices qui leur seront proposés pour mettre en pratique les contenus diffusés. Pour le roman, il en va tout-à-fait autrement. Il s’agit essentiellement d’un support destiné à raconter des histoires et, pour cela, il gagne à ne pas être imposé dans son contenu (le verbe « lire » ne supporte pas l’impératif) et à faire l’objet d’un choix de la part de l’élève lecteur… Les capsules qui invitent à la lecture peuvent prendre la forme de différentes histoires racontées qui donneraient à l’élève ou au groupe d’élèves l’envie de connaitre la suite en choisissant, parmi les histoires racontées, celle qui aiguise le mieux leur appétit.
Professeure de français au D3 qui a à cœur d’apprendre aux élèves à rédiger, qui se met à côté de chaque élève en classe pour travailler avec chacun sur une copie, je suis démunie face à la manière de faire en « distanciel »…
Surtout, gardez votre façon de faire ! À côté de l’élève, en l’accompagnant, et pas au-dessus de lui en le tirant ou derrière lui en le poussant. Votre posture est la bonne et, même dans le distanciel, vous constaterez que, si vous maitrisez le support (ne vous brutalisez pas de ce point de vue), il est possible d’affirmer une présence soutenante. C’est cette présence que vous confirmez par ailleurs quand vous suggérez une lecture à un élève et que vous lui proposez de vous raconter chapitre par chapitre parce que l’histoire qu’il va vous raconter vous intéresse véritablement. La présence soutenante de la personne à qui on va raconter l’histoire est de cette façon confirmée tout au long de la lecture du livre. C’est exactement ce qui se passe quand on accompagne l’écriture… Même à distance, l’intérêt que l’on porte à ce que l’autre écrit constitue une affirmation continue de la présence.
Enseigner le cours d’éducation physique en secondaire en “distanciel” ne me semble pas du tout évident voire impossible. Peut-être auriez-vous des pistes …
L’éducation physique se marie très bien avec le distanciel. Il suffit, pour s’en convaincre, de voir comment « Basic-Fit » et d’autres s’organisent pendant cette période pour maintenir une activité et notamment des cours collectifs alors même que leurs salles sont fermées et qu’ils ne disposent que du support numérique pour poursuivre leurs activités. L’éducation physique est pendant cette période de confinement d’une importance cruciale et je plaide pour ma part pour son maintien aménagé en présentiel en ce compris pendant cette période « rouge ». Il suffit pour cela de respecter les bulles d’apprentissage et d’aménager les pratiques sportives pour qu’elles se réalisent sans contact (foot à passes, handball de zone, volley sans block, etc.)
Pensez-vous vraiment que ce type d’approche peut se réaliser dans les cours scientifiques? Les élèves ont besoin de plus d’accompagnement, et sont souvent bcp moins autonomes. Avez-vous des conseils pour ces matières, particulièrement ?
Bien entendu, la Khan Academy a d’ailleurs été mise en place dans un premier temps uniquement pour les contenus scientifiques et pour s’adresser à ceux qu’ils rebutaient à priori. Les contenus scientifiques sont effectivement ceux qui permettent le mieux le séquençage des apprentissages et l’identification des prérequis qui ne permettent pas une maitrise incomplète mais supposent une maitrise complète pour s’engager plus avant dans les apprentissages. Je vous suggère vraiment la lecture de l’éducation réinventée de Salman Khan (JC Lattès) qui était par ailleurs lui-même un professeur de sciences.
Je suis professeur de cours pratiques en atelier en 5, 6, 7P. Je vais perdre plus ou moins 6h par classe… Je ne vois pas comment faire pour que mes élèves aient le niveau requis en fin d’année !
Je vous suggère juste d’aller le plus loin possible mais sans accélérer de manière excessive dans l’espoir de « rattraper la matière ». Ce serait la meilleure façon d’introduire de la brutalité dans vos façons d’enseigner et de provoquer un dégât considérable auprès de vos élèves et notamment les plus fragiles d’entre eux. Un retard ne se rattrape pas dans un parcours scolaire comme dans un sprint, il se résorbe en douceur comme dans une course de fond. Tous les élèves auront du retard et chaque niveau d’enseignement devra s’y adapter. Les enseignants qui recevront vos élèves au terme de l’année, même si les élèves, en fin de cycle, quittent le bateau pour en prendre un autre, connaissent le contexte et savent donc que les niveaux ne seront pas complètement atteints. Les heures perdues cette année se rattraperont au fil des années et il ne vous incombe pas de tenter ce rattrapage brutalement en accélérant la diffusion des matières de manière irraisonnée pour coller exactement au programme préalablement fixé. La pandémie a inopinément frappé l’enseignement à tous ses niveaux et il appartient à chacun de permettre aux élèves de retrouver leur niveau en métabolisant le rattrapage sur tout un parcours de plusieurs années d’une façon telle qu’il ne pourra être question d’entendre parler comme je l’entends trop souvent de « génération sacrifiée » ou de « ramollissement cérébral » des élèves. Outre que le cerveau n’est pas un muscle, les retards seront rattrapés mais au bout des parcours en faisant preuve d’une forme de solidarité enseignante qui permet à chacun, quel que soit le cycle où il enseigne, de s’ajuster aux niveaux atteints l’année précédente par les élèves dont il a la charge.
L’hybridation doit pouvoir s’installer aussi dans les OBG du qualifiant. Les enseignants de cours techniques et de pratique professionnelle me semblent être les « oubliés » des stratégies proposées. Que préconisez-vous pour ces cours pourtant essentiels ? Comment « couper » le groupe ? Qui vient quand à l’école ?
Mille fois d’accord avec vous. L’enseignement technique constitue un véritable fleuron de nos manières d’enseigner et il est impératif de maintenir sa qualité. C’est pour cela qu’il faut prévoir une manière d’envisager le distanciel en tenant compte des spécificités d’un enseignement qui fait la part belle à l’activité de l’élève, à son expérience directe des réalités et à la production effective d’une œuvre. Dans cette optique, les capsules numériques doivent selon moi prendre la forme de tutoriels qui montrent comment faire de façon à préparer la mise en activité dans les séances réalisées en présentiel. L’enseignement technique suppose une approche différente de l’appropriation des connaissances tout à fait compatible avec l’enseignement hybride pour autant que l’on se limite dans la diffusion des contenus à des tutoriels courts, concrets et pratiques qui décrivent des manières de faire susceptibles d’être activées lorsque les élèves sont réunis par petits groupes pendant les cours.
Pour les cours de pratique professionnelle avec des machines et des outils, en professionnel, comment faire un cours à distance qui a du sens ?
Ici aussi, il n’est pas question de stimuler l’activité outillée ou l’utilisation des machines à distance mais de la préparer par des tutoriels montrant des manières de faire qui préparent la mise en activité sur des machines ou l’utilisation d’outils qui ne peuvent, l’un et l’autre, se réaliser que dans un présentiel ici aussi diminué en quantité mais gagnant en qualité si les élèves ont pu disposer au préalable des tutoriels adaptés.
Lire un livre dans le secondaire professionnel ce n’est pas toujours chose aisée, voyez-vous d’autres techniques possibles pour préparer à la maison le présentiel en classe par après ?
Les lectures-relais qui permettent à chacun de participer à une lecture collective partagée mais aussi la lecture de supports informatifs très courts tels qu’ils sont diffusés sur le net qui deviennent l’opportunité d’un échange au cours desquels ils se retrouvent en présentiel sont des options possibles avec un groupe d’élèves rétifs à la lecture. Le problème n’est pas dans ce cas la qualité de ce qui est lu mais la qualité de la réflexion qui sera réalisée à partir de ce qui aura été lu.
Primaire
Pourriez-vous développer la question des devoirs (pour le primaire) ? Et nous donner des propositions concrètes ?
Les devoirs, qu’ils soient réalisés en amont des matières vues en classe (pour préparer la séance et favoriser l’échange de tous et le questionnement de chacun) ou en aval de ces matières (pour exercer les compétences acquises ou vérifier la consistance de l’acquisition), doivent être strictement limités dans le temps. J’ai développé ma façon d’envisager les devoirs dans un autre ouvrage paru dans cette collection : « Parents, enseignants… éduquer ensemble » aux éditions Van In, pp. 120-123 et pp. 140-148. Vous y trouverez des propositions concrètes qui permettent d’éviter que les devoirs ne deviennent des hauts lieux de confrontation école-famille qui font au moins une victime : l’enfant ou l’adolescent qui y trouve, lorsque cela ne se passe pas bien, de quoi transformer son plaisir d’apprendre en peur de ne pas venir à bout des devoirs sans provoquer une crise de nerf parentale.
Je suis d’accord pour la suppression des devoirs scolaires (je suis même pour!), mais étant en 5e/6e primaire, je suis confronté à la réalité qui est de préparer mes élèves à organiser leurs devoirs, à les gérer en humanités où ils sont très présents ! Alors, que faire ?
Leur donner une forme compatible avec ce que vous soulignez, c’est-à-dire l’apprentissage des fonctions exécutives qui permettent de s’organiser pour aller au bout d’une tâche et mener à bien un projet. Les devoirs ne sont pas faits pour stimuler le co-enseignement en incitant les parents à pousser leurs enfants pour qu’ils aillent jusqu’au bout quitte à prendre eux-mêmes de façon souvent maladroite et affectivement contaminée le manteau de l’enseignant. Les résultats sont alors souvent catastrophiques et les parents en viennent parfois à parasiter lourdement le rapport aux apprentissages de leurs enfants. S’ils parviennent à concevoir que leur rôle se limite à mettre l’enfant en situation d’apprendre pour aller le plus loin possible mais de façon autonome dans le devoir, parents et enfants comprendront mieux ce qui est attendu d’eux par les devoirs (entrainer des compétences en voie d’acquisition et faire le point sur l’état de leurs connaissances) et tout le monde s’en trouvera mieux. J’explique tout cela et propose des mises en œuvre concrètes de ces façons d’envisager le devoir scolaire dans l’ouvrage précité (« Parents, enseignants… éduquer ensemble », Van In).
L’hybridation n’est pas facile à mettre en place avec des enfants de 1re primaire qui démarrent l’apprentissage de la lecture, on a tellement besoin de présentiel avec eux !
L’hybridation, c’est précisément du présentiel amélioré. C’est pour cela qu’il n’est pas question à travers cette forme d’enseignement de laisser toute la place aux écrans mais de les mettre au contraire à leur juste place, c’est-à-dire comme un support, un média qui, parmi d’autres comme le livre et notamment en première primaire le livre d’images, permet de diffuser des connaissance à distance mais à doses homéopathiques et en se limitant strictement à la diffusion de contenus pour laisser toute la place à un présentiel évidemment indispensable avec des enfants de cet âge… Et même, selon moi, au-delà…
Maternelle
Combien de temps proposer en maternelle alors qu’on prône le moins possible les écrans à cet âge ?
En maternelle, comment voyez-vous le système hybridation, le métissage des techniques ?
Pour répondre à ces trois questions, je suggère, afin d’observer une illustration parfaite de ces façons hybrides d’enseigner, de se replonger dans les épisodes de « Sésame ‘s Street » repris en Français sous le nom « d’Ile aux enfants » mettant en scène un monstre gentil du nom de Casimir. Il faut savoir que ces épisodes ont été réalisés pour réduire l’écart en lecture et en écriture des petits enfants mexicains qui ne fréquentaient que trop peu l’école par rapport aux petits américains beaucoup plus présents. Les séquences de quatre minutes d’apprentissage des lettres constituent l’illustration parfaite de ce qui peut être mis en place pour mobiliser l’attention de petits enfants et stimuler leur mise en activité dès lors qu’il est question d’apprendre à lire, à écrire et à compter. Les séquences d’apprentissage ont quatre qualités essentielles : elles sont courtes et fulgurantes (une séquence de quatre minutes dans une émission qui, globalement, dure dix-huit minutes), ludiques dans leur présentation, suscitent l’étonnement (une forme accentuée d’attention chez l’enfant) dans ce qu’elles montrent, se révèlent rassurantes pour l’enfant à travers les personnages récurrents qu’elles mettent en scène et elles invitent à se mettre en activité au-delà de ce qui a été vu…